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6 octobre 2023

PROSTITUTION DES MINEURS

De la famille maltraitante à la prostitution des mineurs

Dans les familles incestuelles, incestueuses, maltraitantes, la dimension de la pression psychologique tend à prouver à l’enfant qu’il n’est pas un individu en tant que tel, qu’il n’en a pas les qualités. Nous grandissons dans une atmosphère où la moindre qualité nous est déniée par le ou les parents maltraitants ; nous prenons cette habitude de nous conformer aux yeux des autres, de l’extérieur à ce que la famille attend de nous.


La dissociation prend forme en même temps que cet apprentissage, au second plan par rapport au fait de ne pas être digne d’intérêt, de ne pas acquérir la qualité d’individu dès l’origine, c’est-à-dire, dans la famille.


La confiance en nous ne nous est pas inculquée ; à la place, c’est la toute-puissance du parent ou des parents maltraitants, il ou elle a le droit de nous utiliser pour passer sa colère, de nous manipuler, de nous insulter, de nous humilier. Nous prenons dès le plus jeune âge le pli : il faut se soumettre, il faut être cette extension attendue de la famille. Si nous ne nous soumettons pas, les humiliations, les violences perdurent.


Le moindre de nos mots, de nos mouvements est scruté pour aller dans le sens initié par nos parents : nous sommes au service de la famille idéalisée. Nous devons par extension paraître heureux, épanouis et ne pas laisser passer la moindre émotion. Si nous avons peur, nous devons apprendre à le cacher. Le fait de nous sentir humiliés, d’avoir mal, de ne pas comprendre ce qui se passe autour de nous ne doit pas être lisible par l’extérieur. Ces mécanismes conjugués de pression vont nous endoctriner : nous sommes d’ores et déjà les objets de la famille, nous sommes entraînés à faire en sorte de ne pas montrer, ou le moins possible.


« La crise d’adolescence »


Au moment de l’adolescence, nous voilà armés de capacités d’analyses accrues. Les maltraitances peuvent perdurer ; il va nous falloir renouveler nos techniques pour échapper à la pression constante et aux maltraitances. S’échapper, c’est le mot, nous essayons tout pour fuir la famille, notre parent ou nos parents maltraitants et pour gagner notre indépendance.


Le fait de vouloir s’échapper peut aller jusqu’aux conduites addictives, aux tentatives de suicide, et à un panel complet de comportements auto destructeurs. La famille de son côté ne tarde pas à réagir et à cataloguer : cette originalité, celle de vouloir s’échapper, n’est plus de son ressort, elle s’en rend compte vite. Le second choix, c’est de se débarrasser de la pièce défectueuse, de cette atteinte à l’image de la famille idéale. S’il n’y a qu’un pas vers un recrutement par un réseau de prostitution, c’est qu’il suffit de la mauvaise rencontre au mauvais moment. Puisque j’avais intégré que je ne valais pas la peine, puisque mon entourage m’avait cataloguée, c’est ce qui m’est arrivé.


Les proxénètes ne sont pas réservés aux élites ou à certains quartiers, certaines cités. Ils peuvent être partout, y compris dans les métiers au contact des jeunes. Ils peuvent se servir de leurs propres enfants pour recruter ou les prostituer. Certains d’eux savent se fondre dans la masse et passer sous les radars, avec les mêmes techniques que les parents maltraitants. Leurs méthodes pour entretenir le silence sont proches, la pression est exercée presque au quotidien. Lors des phases que j’appelle « de respiration », j’avais cette impression de maintenir physiquement la tête hors de l’eau, de pouvoir découvrir ces personnes qui me maltraitaient. Puis l’engrenage repartait de plus belle. Là aussi, comme dans les familles, les violences peuvent survenir à tout moment ; elles sont à la fois imprévisibles et régulières, instillées. Là aussi, la soumission, l’hyper vigilance, sont les clés pour assurer la survie.


Comment se passe le recrutement pour un réseau de prostitution de mineurs ?


Dans la pratique, tu es abordéE par une fille (ou un jeune à qui tu peux t’identifier), de ton âge, qui est trop belle, trop classe, parfaite. Elle a de l’argent et te présente des gens qui ont encore plus d’argent. Ses amies aussi sont parfaites, un peu plus vieilles que vous (et puis, je vous l’ai dit ? Elles ont de l’argent). Ses amis sont dans les affaires (et les affaires rapportent).


Oh ! On t’offre des cadeaux ! Tout le monde est si gentil avec toi, cet ami-là en particulier, il est aux petits soins, tu en as de la chance, on t’aime, on te le montre. Ça y est, tu es ferrée : « Toi aussi, tu vas gagner beaucoup d’argent » ; « Ça va être génial, tu vas rencontrer des VIP »...


Un bémol soudain, cet ami-là avec qui tu projetais une histoire d’amour (en même temps, tu es ado…), te pose beaucoup de questions ; tu lui fais confiance, tu lui racontes ton enfance. Puis tous les amis commencent à te surveiller. Enfin, ce doit être le signe qu’ils s’intéressent à toi, non ? Et puis est-ce que tu veux rester comme ça, dans ton coin, à ne jamais profiter de la vie, à subir les remarques de ta famille, leurs humiliations, leurs brimades ? Alors que tu es si intelligente, maligne (tous tes nouveaux amis te le répètent à satiété). Si belle ! « Tu verras, on ne te laissera jamais seule, ça va bien se passer ».


Autre bémol : à un moment donné, il faut que tu mérites ta place. Que tu rapportes aussi. Ça y est, tu es devenuE un investissement, le leur. Il faut être rentable. Et voilà, tu leur appartiens. C’est arrivé en un claquement de doigts.

Leur surveillance, leurs pressions prennent le relais presque naturellement, la famille laisse la place au réseau de prostitution. Comme tu l’as appris durant ton enfance, tu es assujettiE, tu deviens un objet des proxénètes, leur esclave.


Au-delà, les réactions de l’entourage


D’aucuns pourraient croire que la famille va vouloir rétablir l’ordre et son hégémonie. Ce n’est plus possible, puisque pour intervenir, pour rétablir cet ordre qui lui est cher, il lui faudrait au minimum admettre ses lacunes. L’enfant qui faute, ce marginal, c’est lui qui est le seul coupable : il a semé le désordre, et nuit à l’image de la famille.


Plutôt que de protéger cet enfant qui risque de la déséquilibrer et de la désigner, il lui faut alors se dédouaner d’une manière ou d’une autre : son image, c’est primordial, doit être le moins possible entachée aux yeux de l’extérieur. Le marginal est écarté : ce sera lui le coupable pour tout l’entourage, pour les familiers.


Dans le cas de la jeune fille qui se prostitue, la situation, en outre, n’est pas moralement acceptable. Elle aura cette réputation : « elle est comme ça (je vous passe le vocabulaire que vous connaissez), tu te rends compte, ses pauvres parents ? ». La « pauvre famille » misera sur le fait d’entretenir son image : elle a pourtant tout fait pour cette enfant, elle lui a donné une bonne éducation, c’était donc dans sa nature à elle, de se prostituer. Elle laissera la société juger puisqu’elle aussi a jugé : la honte s’abattra uniquement sur la coupable. La famille deviendra aux yeux des autres une victime de cette enfant défaillante.


En parallèle, la société exonère de préférence les proxénètes. Le consensus est en leur faveur, puisque la nature même de la jeune fille la poussait vers la prostitution. Une sorte d’univers parallèle prend forme où la victime devient responsable de sa situation par nature, où même elle a toujours eu mauvais fond. Les autres, sa famille, son entourage deviennent ses victimes à elle, de par sa nature profonde, elle est manipulatrice. Quant aux proxénètes, personne ne prononce même ce mot. Ils peuvent être victimes eux aussi, ou simplement qui les blâmerait de profiter de la situation ?

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